Denis
Douce
Un
Mauricien, champion de ju-jitsu, aux SportAccord Combat Games 2013
Introduction
Les arts martiaux et les sports de combat existent
par centaines et même par milliers dans le monde. Pourtant, un nombre très
limité d’entre eux a atteint une renommée internationale au point d’intégrer la
compétition désormais de référence pour les disciplines martiales : les
« Sport Accord Combat Games ». C’est la compétition qui réunit tous
les trois ans la « crème » des arts martiaux et des sports de combat
les plus diffusés et pratiqués dans le monde. Quinze disciplines figureront au
programme officiel des Combat Games de Saint-Petersbourg en novembre 2013 :
aïkido,
boxe,
escrime,
judo,
ju-jitsu,
karaté,
kendo,
kick-boxing,
muay
thai,
sambo, boxe française
savate,
sumo,
taekwondo,
lutte et wushu.
Dans cette liste d’élite, certaines disciplines possèdent
un statut encore plus prestigieux, sorte de « crème de la crème » des
arts martiaux et des sports de combat, car elles figurent comme sports
officiels :
- soit au programme des
Jeux Olympiques Modernes (restaurés par
le Français Pierre de Coubertin en 1896) ;
- soit à celui des Jeux
Mondiaux (créés en 1981, en complément
des Jeux Olympiques, pour les disciplines ne pouvant figurer au programme de
deux semaines, faute de place, mais ayant quand même réuni toutes les qualités
requises).
Le ju-jitsu comprend trois phases en
« fighting system » : les échanges pieds-poings (comme sur l’image
ci-dessus), le combat au corps-à-corps dès saisie du judogi (comme en judo) et
le combat au sol (où sont utilisées les immobilisations, les clés articulaires
et les étranglements).
Obtenir une médaille dans l’un de ces sports
d’élite, soit aux Jeux Olympiques ou aux Jeux Mondiaux, soit aux Jeux
SportAccord de Combat, représente la consécration suprême dont un athlète
puisse rêver. Et la gloire de cet
athlète rayonne sur le pays qu’il représente avec d’autant plus de force si le
pays est petit/jeune.
Dans l’Histoire sportive de la République
Mauricienne, un seul combattant (et
d’ailleurs l’unique sportif à avoir décroché ce sésame, tous sports confondus)
est le boxeur Bruno
Julie. Il
fut le premier médaillé olympique de
l’histoire de son pays en atteignant les demi-finales du tournoi olympique, dans
la catégorie poids coqs (-54 kilos), lors des Jeux de Pékin en 2008.
Mais un autre combattant mauricien, pratiquant l’art
martial complet qu’est le ju-jitsu, fut tout proche de
rééditer cet exploit lors des Jeux
Mondiaux de Cali en Colombie, en août 2013. Denis Douce
termina au pied du podium, 5ème dans la catégorie des poids lourds
(94kg). Mais une nouvelle opportunité lui est offerte de montrer le talent des
natifs de Maurice puisqu’il s’envolera dans une semaine pour les SportAccord
Combat Games de Saint-Petersbourg en Russie.
Portrait
Denis Douce est né en 1976 dans la cité Joachim, à
Curepipe. Issu d’un milieu modeste, étant enfant, le sport se résumait pour lui
à courir pieds nus de sa cité Joachim jusqu’à Curepipe pour aller chercher à
manger.
A 8 ans, il fut néanmoins repéré par M. André Quirin
qui lui proposa de pratiquer l’athlétisme. Mais son père, M. Silvio Douce,
trouva qu’il était encore trop jeune et préféra donner la priorité aux études
sur la pratique intensive du sport. Une décision raisonnée mais difficile puisqu’il
était lui-même karatéka et adepte de bodybuilding chez M. Ducray.
Cela n’empêcha pas Denis Douce de glaner plusieurs
médailles en athlétisme durant ses études à l’école primaire. Au collège (de
« form 1 » à « form 4 »), il découvrit et pratiqua d’autres
sports comme le football et le basketball en plus de sa discipline de
prédilection. Il participa à des rencontres nationales et même internationales
d’athlétisme représentant la ville de Curepipe sous la tutelle de M. Alain Lebon,
ainsi qu’au 1er tournoi inter-collèges de handball.
Malheureusement, à la mort de son grand-père, la
famille Douce perdit la maison dans laquelle elle habitait, cité Joachim.
Fatalité, le père de Denis tomba également gravement malade. Et le peu d’argent
restant fut utilisé pour soigner le jeune frère handicapé. De modeste, la
famille sombra dans la pauvreté. En tant qu’aîné de la famille, Denis dut
arrêter ses études (au stade « form 5 ») et se mettre au travail dans
une menuiserie à l’âge de 16-17 ans.
Pour garder contact avec le sport, il ne possédait
qu’une vieille bicyclette Raleigh pour effectuer tous ses déplacements. Denis
et les siens logèrent chez une tante mais la misère atteignit son comble car,
pour se nourrir, ils devaient se contenter des restes de pommes de terre et de
carottes. La famille changea dès que possible de domicile, habitant désormais
Robinson Road. Et Denis fit le va-et-vient à bicyclette jusqu’à la Rue du
Couvent, Curepipe.
Vers l’âge de 18 ans, Denis pratique le full-contact
dans un club qui louait la salle du collège Renaissance. Mais ne pouvant plus
payer, il continue l’entraînement tout seul.
Quelques années plus tard, en allant chez un ami, il
aperçoit des personnes qui pratiquent la boxe française savate, près de la
Rivière, chez M. Raman. Denis intègre ce groupe de tireurs de BF vers 20-21 ans.
Avec ses partenaires, ils obtiennent une salle au Centre fraternel. Denis
s’entraîne sous la houlette de Mario Bienvenu (futur champion du monde et
actuel maire de Curepipe !) aux côtés de Géraldo Thomasso (également futur
champion du monde), avec M. Michaël Selvon et M. Daniel Herbu dans
l’encadrement. Durant ses 5-6 années de pratique, Denis Douce deviendra champion
de Curepipe puis champion de Maurice dans la catégorie de 55kg.
Quand le club cesse de fonctionner, après un
battement de 8 mois, Denis rejoint l’équipe de boxe anglaise de Curepipe,
auprès d’Hervé Bienvenu (l’oncle de Mario). Malheureusement, travaillant
désormais pour Continent, il devient impossible de faire coïncider les
obligations professionnelles et les séances d’entraînement. Denis doit une fois
encore se contenter de sa vieille bicyclette et d’un sac de frappe à la maison.
Ce nouvel emploi, d’abord comme simple employé puis
comme chef de rayon, lui permet néanmoins de montrer d’autres talents : en
communication. Il est nommé président du comité d’entreprise et organise la
première Foire aux artistes à Maurice, où sculpteurs, peintres, musiciens et
artisans viennent exposer leurs créations.
C’est l’occasion de découvrir d’autres
disciplines : pratiquer le rugby avec l’équipe de Français expatriés de
Continent. Et la musculation qui vient compléter le CV sportif de Denis Douce à
cette époque, grâce à M.Sylvain Lily, de Curepipe : Mister Mauritius,
Mister Océan Indien et Mister Africa. Mais, faute de moyens, les fortifiants
coûtant trop cher pour ses modestes revenus, c’est seulement un passe-temps pour
Denis, pas une pratique de compétition.
A l’approche de la trentaine, Denis perd son emploi
et reste 6 mois sans travail. Durant cet intermède, Denis Douce fonde l’équipe
de boxe française de la cité Malherbe. Il rassemble les jeunes désœuvrés de
cette cité et leur offre la pratique d’un sport plutôt que l’errance devant la
boutique. C’est une action sociale car les entraînements sont gratuits ce qui
n’empêche pas plusieurs de ses élèves de devenir champions de Curepipe et même
de l’île Maurice … sans autre équipement que des bandages (pas de gants !)
et son unique sac de frappe personnel. Lors de la première compétition de boxe
française organisée avec le soutien de la municipalité de Curepipe, où tout
Maurice est invité, le club de Malherbe remporte toutes les médailles d’or.
Denis Douce devient pour la deuxième fois champion national de Maurice, cette
fois dans la catégorie des 65kg.
Remarqué, il obtient un contrat de garde-du-corps
pour les VIP ; travaillant la journée comme maçon et le soir comme garde
rapproché. Puis décroche un nouvel emploi chez General Construction comme
chauffeur d’engins. Une fois de plus, à 30-32 ans, les obligations
professionnelles sont incompatibles avec la pratique sportive.
Denis garde quand même le contact avec l’équipe de
Malherbe qui prend de la distance avec la fédération de boxe française et
s’intéresse de plus en plus aux MMA. L’apprentissage des techniques de cette
nouvelle discipline, « mixed martial arts », se fait par
l’intermédiaire de vidéos regardées sur Youtube ! Toujours pas de gants
pour s’entraîner et encore moins de tapis. C’est sur le sol dur « karo di
thé » à Wooton (Curepipe) que Denis et ses jeunes de la cité répètent
leurs mouvements.
Après 18h, Denis travaille comme chauffeur et
garde-du-corps pour la députée et future ministre de « l’égalité des
genres, du développement de l’enfant et de la famille » Mireille Martin.
Celle-ci l’encourage dans la pratique des MMA apportant une aide financière et
(enfin) de l’équipement à son équipe de jeunes déshérités.
A cette époque, un ami de Denis Douce, Gilbert
Anthony, l’invite à assister à une compétition de ju-jitsu à laquelle il va
participer. Denis l’aide d’ailleurs à se préparer et les deux amis d’échanger
leurs techniques de MMA et de ju-jitsu. Gilbert Anthony obtient la 3ème
place dans la catégorie des 90kg lors de cette compétition nationale de 2005.
Puis lance un défi à Denis qui pèse alors environ 80kg : participer à la
prochaine compétition internationale Jikinshin (fédération de ju-jitsu) en
Afrique du Sud.
Défi accepté. Pendant 4 ou 5 mois de préparation,
Denis travaille les projections et les immobilisations. Dès avril 2006, il
participe aux championnats nationaux de ju-jitsu de Maurice et obtient la
médaille d’or chez les moins de 85kg, les moins de 90kg et les moins de 95kg
devenant ainsi triple champion dès sa première participation. En septembre, il
relève le défi de son ami et participe au Jikinshin d’Afrique du Sud obtenant
la 3ème place chez les 90kg. En fin d’année, en novembre, une
nouvelle compétition nationale est organisée à Maurice et cette fois Denis
Douce obtient quatre titres (!) : dans les catégories 90kg, 95kg,
100kg et toutes catégories.
Denis Douce devient en une seule année le champion
de référence en ju-jitsu. En 2007, il crée le premier club de ju-jitsu de
Curepipe, affilié à la municipalité. Comme toujours, cette ouverture de club est à destination des
jeunes défavorisés. On peut s’entraîner sans payer, avec la reconnaissance et
l’aide financière de la municipalité de Curepipe.
L’équipe de ju-jitsu de Curepipe obtient plusieurs
médailles lors de la compétition nationale de décembre 2007, dont les deux nouvelles médailles d’or de
Denis chez les 90kg et 95kg (portant son total de titres nationaux à 9 en
ju-jitsu, sans compter les 2 en boxe française).
En 2008, sensei Nuvin Proag, l’entraîneur et
sélectionneur national (à gauche sur la photo), intègre plusieurs jeunes de
Curepipe dans l’équipe nationale. Cette équipe reçoit la formation de l’IJJF,
la fédération internationale de ju-jitsu, en collaboration avec les judokas de
la fédération mauricienne de judo, ju-jitsu et disciplines associées FMJJDA.
En 2009, Denis Douce participe (avec l’accord de
sensei Nuvin Proag) à la Réunion aux négociations pour organiser le 1er
Tournoi de l’océan Indien de ju-jitsu, avec les Réunionnais Thierry grimaud et
Fabrice Payet et le Malgache Vola Raoelison.
La première édition de cette compétition
internationale a lieu en 2010 à Madagascar. Elle devient le rendez-vous annuel
des pays de la zone : Madagascar, Maurice, Réunion, Seychelles, etc. La 4ème
édition vient d’ailleurs de se dérouler (toujours à Madagascar) en ce mois de
septembre 2013. Pour la quatrième année consécutive, Denis Douce s’est emparé
de la médaille d’or en ju-jitsu fighting ajoutant à cela soit l’or soit
l’argent en ju-jitsu ne-waza (sans les percussions mais avec tout de même
projections et travail au sol).
Elargissant sans cesse sa gamme technique, en mai
2012, Denis Douce participe à l’open IOFA de croche (la lutte traditionnelle
réunionnaise proche du ju-jitsu ne-waza mais sans saisie sur les vêtements) et
gagne chez les moins de 96kg et moins de 120kg. En novembre de la même année,
Denis s’empare des premiers titres nationaux de MMA à Maurice : moins de
95kg et moins de 120kg.
Sensei Nuvin Proag décide de l’envoyer aux
Championnats d’Afrique de ju-jitsu, pour la 1ère participation de
Maurice. La compétition a lieu fin 2012 au Sénégal. Denis obtient la médaille
d’argent chez les 94kg et se retrouve ainsi propulsé dans les classements mondiaux.
M.Devanand Ritoo ne s’y trompe pas ! Denis Douce devient le premier
athlète de ju-jitsu à être récompensé par le Ministère de la Jeunesse et des
Sports comme « athlète de haut niveau ».
Avec l’aide financière qui accompagne ce statut,
Denis Douce peut participer aux Championnats du monde 2013 qui se sont déroulés à Vienne, en Autriche, en début d’année. Il s’y classe 11ème mondial
dans sa catégorie de poids (moins de 94kg). Puis, mi-2013, c’est à Cali, en
Colombie, qu’il gravit encore quelques échelons terminant 5ème
mondial dans la catégorie des 94kg lors des Jeux Mondiaux ; pour la
première participation d’un Mauricien à une compétition d’une telle envergure
(rappelons-le : une compétition multi-sports, équivalente aux Jeux
Olympiques, avec une périodicité de quatre années).
Le parcours du combattant (c’est le cas de le dire)
compte une ultime étape en cette année 2013 : les SportAccord Combat
Games qui vont se dérouler dans quelques jours à peine à
Saint-Petersbourg, en Russie (du 18 au 26 octobre). Derniers réglages avec les
entraîneurs nationaux, le Mauricien Nuvin Proag et le Français Nicolas Hery
(issu de l’INSEP), et direction les tatamis russes pour, nous l’espérons tous à
Maurice, la consécration du parcours courageux et généreux de ce champion
mauricien : Denis Douce.
Pour paraphraser Nelson Mandela : « La
valeur d’un homme ne se mesure pas à ses titres mais au nombre de fois où il
est tombé et au nombre de fois où il s’est relevé. »
Jérôme Sanchez