dimanche 4 mai 2014
Le Moringue, la Croche: un peu d’Histoire ...
Serait-ce
une habitude de certains milieux culturo-sportifs que de s’accaparer les
travaux de recherche des uns pour les mettre à la sauce « péi». Au-delà du fait que les travaux ont généralement
pour objectif de raconter l’histoire de nos Anciens, ils peuvent permettre de
revaloriser des pratiques « lontan », afin de les proposer aux générations
futures, dans un souci à la fois de ne pas les oublier et, d’autre part, de les
inscrire dans les activités de notre temps. Dans les années 80/90, la
CONFEJES (Conférence des Ministres de la
Jeunesse et des Sports Francophones), dont le siège est à Dakar, a mis en œuvre
une politique d’harmonisation et de codification de toutes les formes de luttes
traditionnelles pour les faire rentrer dans la modernité tout en conservant
leur dimension culturelle. Cela a donné naissance au style de Lutte Africaine,
reconnu depuis par la Fédération Internationale. Les documents « Manuel de
Lutte Africaine », tome I et II, concernant ces recherches à la fois
historiques, techniques et pédagogiques, ont été expédiés à toutes les DDJS de
France (et donc à la Réunion). Quelles années plus tard, est apparu un document
nommé « Manuel du Moringue Réunionnais », plagiat de la capoeira brésilienne et
des 34 articles du Code de Lutte Africaine, sans oublier les rubriques (recommandations et annexes) relatives à
l’organisation de compétitions. Or, à l’arrivée
des premiers Malgaches, le Moringue a existé à la Réunion et existe toujours
sur la grande île, sous la forme d’une véritable « baston » avec défis et paris
au niveau des spectateurs friands de sports de combat assez violents. En
collant à la réalité, remettre à l’ordre du jour cette ancienne pratique aurait
dû permettre de synthétiser sur notre île la boxe anglaise, la boxe française,
la boxe thaï, le kick boxing, … toutes ces pratiques d’aujourd’hui, qui
attirent les jeunes en « sur-plus » d’énergie. Au final, un rendez-vous manqué
avec l’Histoire et les sports de combat modernes.
En
2006, les éditions « Azalés » de la Réunion ont publié un ouvrage titré : « La
Croche – Lutte Traditionnelle Réunionnaise ». Les auteurs ont fait un travail
quelque peu similaire à ce qui s’était passé sur le continent africain :
interviews de « Gramounes », répertoriage de toutes les techniques avec leur
terminologie créole, codification de
cette ancienne pratique appartenant au patrimoine culturel réunionnais, en
faisant l’effort de ne pas la dénaturer et de coller au plus près de ce qui se
faisait dans le temps « lontan ». La Fédération Française de Lutte puis la
Fédération Internationale ont reconnu ce style et des clubs ont vu le jour,
principalement du côté de St Paul. Développer l’activité sur tout le
Département supposait une formation de cadres techniques et l’apport de
financement permettant de former, d’organiser des rencontres, de mettre en
place un championnat régional, sur toutes les communes de notre île, voire même
d’exporter la Croche en direction des îles sœurs. Ces projets étant difficiles
à mettre en œuvre auprès du Comité de tutelle s’occupant principalement de
lutte olympique, un dossier de demande de subvention spécifique a été élaboré
par les deux principaux auteurs de l’ouvrage « La Croche ». Mais une fois la
subvention obtenue, ces derniers ont été écartés par une nouvelle équipe
davantage tournée vers la lutte olympique. A partir de là, la codification a
été modifiée, compliquant la réglementation jusqu’à prendre une nouvelle
appellation : « lutte la croche » pour re-nommer « La Croche ». Au fils des
articles, le “Crocheur” est devenu “Lutteur” et la référence à des techniques
de lutte (liane, souplesse arrière, ... par exemple dans les interdits)
confirme alors cette “luttivisation” forcée de la Croche qui, historiquement et
comme la plupart des luttes traditionnelles à travers le monde, n’a rien à voir
avec la réglementation de la lutte olympique. Ces modifications arbitraires de
certaines règles (alors que les rencontres sportives se déroulaient jusqu’à
présent sans problème) ont totalement transformé l’esprit et la dimension
culturelle de cette pratique « lontan ».
Cela
signifie, entre autres, que les travaux de recherche et de revalorisation ne
sont parfois pris en considération que lorsque l’intérêt est ailleurs. Force
est de constater que s’approprier le travail des autres et procéder sans
discernement au « copier-coller » deviennent de plus en plus à la mode dans nos
sociétés, aussi bien dans le sport que dans d’autres domaines : recherche,
santé, littérature, habillement, …..
Frédéric
Rubio / spécialiste de sports de combat
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